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En complément de notre dossier, le supérieur de district, ancien professeur à Écône, offre cette analyse – de niveau philosophique – de la pensée de Luc Ferry sur les sujets de moralité publique.
Il est toujours salutaire de
revenir à saint Thomas. Et à l’heure où toutes les divagations sont
possibles, où tous les repères sont ébranlés, il est d’autant meilleur
de s’appuyer sur la sagesse du docteur commun de l’Église. Certains
pousseront des cris : « Libérez-nous de la tutelle de la scolastique »,
au nom de la liberté. Cette liberté, qui assassine des millions
d’innocents ayant le tort d’être trop fragiles, réclame aujourd’hui un
autre butin : la PMA. Usquequo tandem abutere… pour reprendre les fameuses catilinaires. « Quamdiu etiam furor iste tuus nos eludet ? quem ad finem sese effrenata iactabit audacia ? »
Ce qui signifie : « Combien de temps ta folie nous défiera-t-elle ?
Jusqu’où ton audace effrontée se déchaînera-t-elle ?»
LUC FERRY
M. Luc Ferry nous a offert un exemple de cette divagation publique. Dans sa chronique du Figaro du
22 novembre, aux questions que lui posait un ami prêtre, il conclut sa
réponse ainsi : « Des millions d’enfants sont nés aujourd’hui par PMA :
pensez-vous sérieusement que leurs parents soient dans le péché,
voire, comme le dit le catéchisme officiel de l’Église, dans
“l’indignité” ? Des millions d’hommes et de femmes vivent dans les
unions homosexuelles : même question. Les positions de l’Église me
semblent sur ces sujets aux antipodes du message d’amour que le Christ
nous a envoyé à tous, croyants ou non croyants, quand il nous invite à
ne pas juger pour ne pas être jugés. » Effrayant, n’est-ce pas ?
« À chacun sa vérité » : cet
adage de la modernité a l’avantage d’être sans ambages ; il considère
que la conscience est la seule règle d’agir, maîtresse de vie, que l’on
soit croyant ou non. Jean-Jacques Rousseau disait : « Conscience !
Conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré
d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge
infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme semblable à Dieu,
c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses
actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des
bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreur en erreur à l’aide
d’un entendement sans règle et d’une raison sans principes. Grâce au
Ciel, nous voilà délivrés de tout cet effrayant appareil de
philosophie : nous pou vons être hommes sans être savants ; dispensés
de consumer notre vie à l’étude de la morale, nous avons à moindres
frais un guide plus assuré dans ce dédale immense des opinions
humaines. »
Rousseau cite « la nature » : or,
sur la question de la PMA, le fondement de la controverse réside dans
la juste appréciation de ce qu’est la nature. M. Ferry, comme
Jean-Jacques, erre sur ce sujet.
LA NATURE EN QUESTION
À l’occasion de l’explication du
mystère de l’union hypostatique dans le Christ, mystère d’une
personne en deux natures, saint Thomas la définit ainsi : «
Étymologiquement, le mot de nature vient d’un mot latin qui signifie :
ce qui doit naître ; aussi l’emploie-t-on pour désigner la génération
chez les vivants, que l’on appelle couramment naissance ou reproduction
» (Somme théologique, iii, a. 2, ad 1). Les animaux,
les plantes, les hommes sont donc des êtres naturels, ils viennent à
l’existence par la reproduction. En philosophie, on
dit que la nature est le « principe intrinsèque », c’est-à-dire
intérieur, « d’une chose, qui rend compte de son mouvement et de son
activité propre ». Ainsi, par nature, un chat est un chat ; il chasse
comme un chat et non comme un chien. Elle implique donc une certaine né-
cessité : la rose offrira toujours ce parfum exquis bien distinct des
autres odeurs. Dès qu’elle existe, une chose est déterminée à
appartenir à son espèce, et en particu lier elle est orientée
inexorablement vers une fin, elle aussi déterminée. Aristote, le
philosophe, a bien dit : la nature c’est la fin ; cela ne veut pas dire
que la nature d’une chose est identiquement sa fin, mais qu’elle est
corrélative à sa fin, proportionnée à elle, et qu’on pourrait la
déduire d’elle. De même que la nature d’une horloge est proportionnée à
son but, qui est d’indiquer l’heure ; de même toute nature, dans les
animaux, les plantes et les hommes, est déterminée à son but. Bien plus :
une chose est vraiment épanouie lorsqu’elle a atteint sa fin qui est
en vérité son bien. Nous le constatons facilement dans l’art. L’œuvre
accomplie est toute la joie de l’artiste. Dans la nature est contenue
l’inclination d’une chose à sa fin déterminée. D’ailleurs il n’y
aurait aucun mouvement si une fin n’y attirait. M. Ferry n’aurait rien
écrit s’il n’avait pas pour but de justifier la PMA ! Nous n’échappons
donc pas à cette orientation. Toute notre activité implique
nécessairement une finalité. Et saint Thomas précise évidemment qu’il y
a deux manières de tendre vers une fin : celle des êtres raisonnables
qui connaissent leur fin et celle des êtres sans raison qui sont portés
vers leur fin par la motion transcendante d’une intelligence
supérieure. Les premiers agissent en vue d’une fin ; les seconds sont mus vers une fin.
Chaque être naturel a donc sa
fin, même si, pour certains êtres naturels, il nous est difficile, à
nous les hommes, de la connaître. Tous les êtres naturels sont
inclinés inexorablement vers leurs fins propres. Et aus- si, tous
ensemble, ils sont inclinés, au bout du compte, à une seule fin : Dieu.
Saint Thomas précise : « De même que la nécessité selon laquelle la
flèche tend vers le but auquel elle est envoyée lui est imposée par
l’archer et non par elle-même, de même la nécessité naturelle inhérente
aux choses déterminées à un terme est imprimée par Dieu. » Et « de
même que la nécessité violente du mouvement de la flèche prouve la
direction imprimée par l’archer, de même la nécessité naturelle des
choses prouve le gouvernement de la divine providence. »
FAIRE CE QU’ON VEUT
Il devient aisé de comprendre
que cette divine providence est loi éternelle. En effet,
la loi est un jugement de raison du chef. La
Providence gouvernant toutes choses peut donc être appelée loi : c’est
la loi éternelle. M. Ferry ne veut pas d’une règle d’agir supérieure à
l’homme : « Il serait souhaitable d’argumenter à partir de sa raison
plutôt qu’à partir d’une tradition, afin de laisser assez largement les
citoyens adultes décider par eux-mêmes plutôt que de tenter, par des
pressions, voire par des manifestations de rue, d’imposer des arguments
d’autorité. » Mais, croyants ou incroyants, nous sommes soumis à cette
loi éternelle. Le docteur angélique le dit : « Les animaux sans raison
participent eux-mêmes, tout comme la créature raisonnable, à la pensée
éternelle, mais à leur façon. » « Car parmi tous les êtres nous sommes
soumis à la divine providence d’une manière excellente par le fait que
nous participons à cette providence enpourvoyant à nos propres intérêts
en même temps qu’à ceux des autres. »
Et voilà l’argument qui nous
sépare radicalement de Jean-Jacques comme de M. Ferry : « Cette
participation à la loi éternelle est appelée la loi naturelle. » Nous
sommes libres de ne pas suivre les in- jonctions divines, mais nous
sommes alors pécheurs, croyants ou non. Nos passions nous pousseront
souvent à enfreindre la loi naturelle, mais notre nature demeurera la
même. Nous l’aurons seulement abîmée et rendue de plus en plus
difficile à suivre. La conscience ne crée rien, n’invente rien, elle
juge des moyens pris pour atteindre une fin. Saint Thomas affirme sans
coup férir : « La loi naturelle est identique pour tous, dans ses
premiers principes généraux tout autant selon sa rectitude objective que
selon la connaissance qu’on peut en avoir. » Ou encore : « Ainsi
appartient-il à la loi naturelle ce que l’instinct naturel apprend
à tous les animaux, par exemple l’union du mâle et de
la femelle, le soin des petits… » Ou ceci : « Si l’on considère la
nature humaine commune à l’homme et aux autres animaux, alors
certains péchés spéciaux sont dits contre-nature ; par exemple, les
rapports sexuels entre mâles, ce que l’on appelle spécialement vice
contre-nature, sont contraires à l’union du mâle et de la femelle, qui
est naturelle aux animaux. »
PIE XI ET PIE XII
Heureusement, le Magistère
antérieur savait rappeler la vérité et défendre les fidèles de l’erreur.
Car « rien de nouveau sous le soleil ». Les arguments de M. Ferry
ont déjà été réprouvés. Pie XII, dans une allocution en 1952, disait
que « l’éthique nouvelle… est éminemment individuelle. Dans la
détermination de conscience, l’homme singulier se rencontre
immédiatement avec Dieu et se décide devant lui, sans l’intervention
d’aucune loi, d’aucune autorité, d’aucune communauté, d’aucun culte ou
confession, en rien et en aucune manière. » Et il ajoutait, pour montrer
l’énormité d’une telle attitude : « Sous cette forme expresse,
l’éthique nouvelle est tellement en dehors de la foi et des principes
catholiques, que même un enfant, s’il sait son catéchisme, s’en rendra
compte. » Il est évident que Dieu a créé l’homme et la femme pour
croître et se multiplier. Mais l’aveuglement est tel que beaucoup ne
voient plus ce qui crève les yeux.
Pie XI écrit : « Dans l’ordre
naturel Dieu communique immédiatement à la famille la fécondité,
principe de vie, donc principe de droit de former à la vie, en même
temps que l’autorité, principe d’ordre. Le docteur angélique dit avec
son habituelle clarté de pensée et sa précision de style : “Le père
selon la chair participe d’une manière particulière à la notion de
principe qui, dans son universalité, se trouve en Dieu… le père est
principe de la génération, de l’éducation et de la discipline, et de
tout ce qui se rapporte au perfectionnement de la vie humaine.” (…)
De cette inviolabilité, le docteur angélique donne la raison : “Le fils,
en effet, est par nature quelque chose du père… il s’ensuit que, de
droit naturel, le fils, avant l’usage de la raison, est sous la garde
de son père. Ce serait donc aller contre la justice naturelle si
l’enfant, avant l’usage de la raison, était soustrait aux soins de ses
parents ou si l’on disposait de lui en quelque façon contre leur
volonté.” Et puisque les parents ont l’obligation de donner leurs soins à
l’enfant jusqu’à ce que celui-ci soit en mesure de se suffire, il faut
admettre qu’ils conservent aussi longtemps le même droit inviolable
sur son éducation. “La nature, en effet”, poursuit le docteur
angélique,“ne vise pas seulement à la génération de
l’enfant, mais aussi à son développement et à son progrès pour
l’amener à l’état par- fait de l’homme en tant qu’homme, c’est-
à-dire à l’état de vertu.” »
UN APLOMB INOUÏ
Y aurait-il à choisir entre
l’autorité de Pie XI, qui exprime simplement la sagesse de l’Église et
transmet donc l’enseignement du Christ, et la science faussée de M.
Ferry ? Est-ce berlue ou fausse science d’affirmer : « Je n’aperçois
aucune raison, je dis bien aucune, qui démontrerait si peu que ce soit
qu’un enfant soit forcément mieux élevé par ceux qui lui ont donné la
vie que par d’autres parents » ? Comme dit Léon XIII : « Les fils sont
quelque chose du père, comme une extension de la personne paternelle. »
Et voilà pourquoi le père élève ses enfants : parce qu’il les
engendrés. Nous savons aussi que le sacrement de mariage unit justement
deux époux, non seulement pour engendrer des enfants, mais aussi pour
les éduquer. Il est alors étonnant que M. Ferry ait l’aplomb de dire : «
Je ne vois pas qu’un principe éducatif serait lésé si peu que ce soit
du
fait que des enfants seraient élevés par des
parents qui ne leur ont pas transmis leurs gènes, que ce soit dans le
cadre d’une adoption ou dans celui d’une PMA. »
Justement, ce ne sont pas des
parents. Bref, la PMA est une perversion contre-nature. On l’aura
compris, pour nos contradicteurs tout est affaire de conventions ; est
juste ce qui est conforme aux lois actuelles. Les lois humaines sont
de simples phéno- mènes sociaux exprimant la contrainte collective
exercée sur les individus par le groupe auquel ils appartiennent. Adieu
la nature, et en conséquence adieu la morale naturelle, puisqu’elle
s’appuie précisément sur la nature, et ce, que l’on soit croyant ou non ;
adieu la morale surnaturelle, puisque la grâce ne détruit pas la
nature, mais la su- rélève. Implicitement, Dieu a disparu et le
gouvernement divin est une fiction. Parce que nous défendons la foi
dans toute son intégrité, nous avons aussi à défendre la nature. Car
enfin Jésus-Christ n’a-t-il pas pris une nature semblable à la nôtre
pour nous sauver ? L’enjeu est considérable, la bataille est
titanesque et nous devons maintenir ce cap.
Abbé Benoît de Jorna†, Supérieur du District de France de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
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