Nous reproduisons avec l’aimable autorisation du Chardonnet un article de monsieur l’abbé François-Marie Chautard, recteur de l’Institut Saint-Pie X à Paris. Cet article est paru dans le Chardonnet de février 2016 sous le titre « Notules romaines ». La mise en forme est de MPI.
Intentions de prière du pape François – février 2016
Comme dans tout jubilé décrété par le souverain pontife, l’obtention de l’indulgence plénière est conditionnée par la prière aux intentions du pape. Le jubilé de la miséricorde n’y fait pas exception.
D’une manière traditionnelle, ces intentions sont objectives et précises : l’exaltation de l’Église, la propagation de la foi, l’extirpation des hérésies, la conversion des pécheurs, la concorde entre les princes chrétiens, les autres biens du peuple chrétien.
Cependant, de manière tout à fait inhabituelle, le pape a lié l’obtention des grâces du jubilé de la miséricorde à la prière à ses intentions subjectives : « Il sera nécessaire d’accompagner ces célébrations par la profession de foi et par la prière pour ma personne et pour les intentions que je porte dans mon cœur pour le bien de l’Église et du monde entier » écrivait le pape à Mgr Fisichella(1). Il est difficile d’être plus sibyllin.
Au vu des récents documents et événements romains, les fidèles, qui souhaitaient gagner l’indulgence plénière, pouvaient donc légitimement s’inquiéter sur la finalité morale de leur prière. Devaient-ils prier sans distinction pour les intentions du pape, quitte à s’associer à sa prière pour le respect de la géo économie ou de la promotion du dialogue interreligieux ?
Avec les intentions publiées par le pape en ce début de l’année 2016, l’ambiguïté n’est plus de mise : le dialogue interreligieux fait intégralement partie des intentions du souverain pontife pour gagner l’indulgence jubilaire.
Ainsi le montre le pape dans une vidéo de 32 secondes publiée sur son compte officiel Youtube : «La majeure partie des habitants de la planète se déclarent croyants ; c’est un fait qui devrait encourager les religions à dialoguer. Nous devons prier sans cesse pour cela et travailler avec ceux qui pensent d’une autre manière ». Puis 4 représentants de 4 religions confessent successivement leur foi religieuse: «Je mets ma confiance en Bouddha. Je crois en Dieu. Je crois en Jésus-Christ. Je crois en Dieu, Allah.» Le pape reprend: «Beaucoup pensent de manières différentes, ressentent les choses différemment, cherchent où rencontrer Dieu de diverses manières. Dans cette multitude, dans cet éventail de religions, nous avons une seule certitude pour tous : nous sommes tous enfants de Dieu ».Puis le pape et les représentants bouddhiste, protestant et musulman de répéter: «Je crois en l’amour, je crois en l’amour, je crois en l’amour, je crois en l’amour».
Le pape achève ainsi: «Je compte sur vous pour diffuser mon intention de ce mois: que le dialogue sincère entre les hommes et les femmes de différentes religions porte des fruits de paix et de justice. Je compte sur ta prière». En bonne logique, cela signifie que pour gagner l’indulgence plénière qui remet la peine due aux péchés, il faut prier pour une intention qui est intrinsèquement mauvaise. En conséquence, pour gagner l’indulgence plénière, il faut s’associer à un péché et donc pécher soi-même ! Pèche fortement, et crois plus fortement encore, disait Luther, duquel d’ailleurs le Saint-Siège semble avoir une haute opinion.
Quand les protestants s’enthousiasment
En effet, le 11 février 2016, le Révérend Dr. Martin Junge, secrétaire général de La Fédération luthérienne mondiale (FLM), et le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens (CPUC), ont cosigné une lettre invitant les Conférences des évêques catholiques du monde entier à utiliser une prière commune en vue des commémorations des 500 ans de la Réforme en 2017.
Entre autres passages étonnants, figurent les lignes suivantes :
« Les luthériens sont reconnaissants dans leurs cœurs pour ce que Luther et les autres réformateurs leur ont rendu accessible : la compréhension de l’évangile de Jésus-Christ et la foi en Lui; la connaissance du mystère du Dieu trinitaire qui se donne à nous, êtres humains en disgrâce et qui ne peut être reçu qu’avec une confiance absolue en la promesse divine ; la liberté et la certitude que crée l’évangile; dans l’amour qui vient de la foi et est éveillé par elle, et dans l’espérance dans la vie et dans la mort que la foi apporte ; et dans le contact vivant avec l’Écriture Sainte, les catéchismes et les hymnes qui amènent la foi dans la vie».
« Le voyage œcuménique permet aux luthériens et aux catholiques d’apprécier ensemble l’intuition de Martin Luther et son expérience spirituelle de l’évangile de la rectitude de Dieu, qui est aussi la miséricorde de Dieu».
Sans vouloir protester contre ce qui est impensable de la part de catholiques, on se limitera à citer quelques propos choisis de Luther qui plaident pour une étonnante «expérience spirituelle». En guise de miséricorde, voici ce que rapporte Pierre Gaxotte dans son Histoire de l’Allemagne :
« Dénoncé par les victimes comme le fauteur du mal, comme l’homme qui avait semé la tempête, cité avec respect dans les douze articles comme un de ceux qui maintiennent ici-bas l’autorité de la sainte Écriture, Luther devait prendre parti. Il commença par une Exhortation à la paix, distribuant les responsabilités, condamnant les excès, approuvant les revendications légitimes, conseillant aux uns l’indulgence, aux autres la patience. Vaine modération. Alors il lance un manifeste Contre les bandes meurtrières et pillardes des paysans (1525), qui est un de ses écrits les plus terribles, suivi bientôt de la Lettre sur le dur petit livre contre les paysans.
Ceux-ci ont commis “devant Dieu et devant les hommes trois crimes affreux” : ils se sont révoltés contre les autorités légitimes, à qui ils devaient obéissance et soumission ; en détruisant des biens qui ne leur appartiennent pas, ils se conduisent en brigands ; enfin, ils couvrent leurs forfaits du nom de l’Évangile et disent s’appeler Fraternité chrétienne. Ils ont mérité les pires châtiments. Quiconque peut égorger un séditieux fait une bonne action. “C’est comme un chien enragé; si on ne le tue pas, il vous tue et tout un pays avec vous.” “Chers seigneurs, délivrez-nous, sauvez-nous, secourez-nous, sabrez, frappez tant que vous pourrez.” “Le pouvoir civil, ministre de la colère divine sur les méchants et véritable précurseur de l’enfer et de la mort éternelle, ne doit pas être miséricordieux, mais raide, courroucé, sévère dans sa fonction et dans son œuvre. Son insigne n’est pas un chapelet, ni une fleur d’amour, mais une épée nue, symbole de colère, de rigueur, de châtiment.” “L’âne veut recevoir des coups et le peuple doit être gouverné par la force”» (3).
Sur la messe, Luther n’est pas moins nuancé : « Je déclare que tous les lupanars (que Dieu réprouve cependant sévèrement), tous les assassinats, meurtres, viols, adultères sont moins abominables que la messe papiste »(4). En matière de dignité de la femme, les protestantes apprécieront ce morceau d’éloquence galante : « si les femmes se fatiguent à force de produire, il n’y a pas de mal; qu’elles meurent pourvu qu’elles produisent ; elles sont faites pour cela»(5). Et nous ne citons que des passages expurgés !
Enfin, au sujet de la contemplation.
« Je dis que soit dans l’homme, soit dans les démons, les forces spirituelles ont été non seulement corrompues par le péché, mais complètement détruites, en sorte qu’il ne reste plus en eux qu’une raison dépravée et une volonté ennemie et adversaire de Dieu, dont l’unique pensée est la lutte contre Dieu. ( … ) Tout ce qui est dans notre volonté est mal, tout ce qui est dans notre intelligence est erreur ; c’est pourquoi en ce qui regarde les choses divines, l’homme n’a que pures ténèbres, erreur, malice, perversité de la volonté et de l’intelligence ».
À le lire, on serait presque tenté de le croire…
abbé François-Marie Chautard
1 – Pape François, À mon vénéré frère Mgr Rino Fisichella président du Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, lettre du 1er septembre 2015.
2 – Vatican.Va / Rorate Coeli / Site de la Fédération Luthérienne Mondiale / La Porte Latine du 18 février 2016
3 – Pierre Gaxotte, Histoire de l’Allemagne, Flammarion, 1963, pp. 454-455.
4 – Luther, Dr Martin Luthers Werke, Kritische Gesamtausgabe, 1833, t. XV, p. 774 ; cité par Davies, La réforme liturgique anglicane, Clovis, 2004, p. 70.
5 – Cité par J. Maritain, Les trois réformateurs, Plon, 1925, p. 249.
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