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Le 27 mars 2017, le cardinal Müller, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et président de la Commission pontificale Ecclesia Dei, signait, par mandat du pape François, une Lettre adressée aux évêques du monde entier « au sujet des permissions pour la célébration de mariages de fidèles de la Fraternité Saint-Pie X ». Les lignes qui suivent proposent quelques réflexions au sujet de cette Lettre.
L’origine de la « forme ordinaire » du mariage
« Le concile de Trente, écrit le chanoine Raoul Naz (Traité de droit canonique, Letouzey et Ané, 1954, III, § 417), voulut réagir contre l’abus des mariages clandestins en exigeant par son fameux décret Tametsi que le consentement matrimonial fût donné en présence du curé ou de l’Ordinaire des parties, ou d’un prêtre délégué par eux (…). Le décret Ne temere de la Congrégation du Concile, du 2 août 1907, imposa à partir de Pâques 1908 dans toute l’Église latine, pour la validité du mariage, la présence de l’Ordinaire ou du curé du lieu où celui-ci est contracté, ou d’un prêtre délégué par eux (…). A quelques légères modifications ou additions près, la partie du décret Ne temere concernant le mariage se trouve reproduite tout entière [dans le Code de 1917] », comme, d’ailleurs, dans le Code de 1983.
Ce n’est donc pas en vertu du Code de 1983, ni même du Code de 1917, que les mariages, sauf exceptions précises, doivent être contractés « devant le curé ou l’Ordinaire du lieu, ou un prêtre délégué par l’un d’entre eux » (canon 1094 du Code de 1917), mais directement du concile de Trente, et d’un acte subséquent de saint Pie X.
Cette disposition juridique, qui touche la validité, n’a toutefois absolument rien à voir avec une quelconque définition (traditionnelle ou moderniste) du mariage, ni avec les autres conditions de validité et de licéité, ni avec la façon dont procèdent les tribunaux canoniques pour juger les causes de nullité de mariage, encore moins avec d’autres considérations sur la situation actuelle de l’Église, la liberté religieuse, l’œcuménisme, le dialogue inter-religieux, l’état désastreux de la liturgie, etc. Elle règle exclusivement et précisément la façon dont doit être exprimé le consentement des futurs époux, et cela pour assurer la certitude de la réalité du mariage contracté.
La délégation pour célébrer un mariage
Selon le droit, seul un ecclésiastique qui a juridiction sur un territoire est par nature « témoin canonique » : il s’agit de l’Ordinaire (c’est-à-dire de l’évêque du diocèse dans tout son diocèse) ou du curé dans sa paroisse. Tous les autres prêtres, même le vicaire paroissial dans sa propre paroisse, ont besoin d’une délégation pour recevoir le consentement des futurs époux.
Donc, de par le droit le plus ordinaire, le plus universel et le plus certain, un prêtre qui n’est pas le curé du lieu et qui veut célébrer un mariage doit obligatoirement demander une délégation, soit à l’évêque du diocèse où le mariage doit avoir lieu, soit au curé dans la paroisse duquel ce mariage va être célébré. C’est là une situation parfaitement normale dans l’Église : une astreinte prévue par le droit et qui pèse sur tous les prêtres qui ne sont pas le curé du lieu.
Cette délégation ne donne pas une « juridiction » au sens propre : c’est pourquoi, comme nous le verrons, l’évêque ou le curé peuvent déléguer même un prêtre frappé de peines canoniques. Il vaudrait mieux l’appeler un « pouvoir », une « capacité ». En fait, cette délégation permet au prêtre délégué de remplacer le curé ou l’évêque, de tenir sa place de « témoin canonique » pour tel mariage déterminé. Comme l’écrit le chanoine Pierre Fourneret (Le mariage chrétien, Beauchesne, 1919, pp. 145-146), « le curé et l’Ordinaire ont toujours eu le droit de se faire remplacer dans cette fonction par un délégué, pourvu qu’il fût prêtre. (…) Le prêtre délégué se contente de représenter le curé ou l’Ordinaire ».
En revanche, tout prêtre qui a reçu délégation est « témoin canonique » et peut donc de façon certainement valide célébrer un mariage. Dans ce cas, en effet, souligne le chanoine Fourneret, « la validité du mariage ne pourra pas être attaquée pour défaut de compétence du prêtre » (ibid., p. 147).
La « forme extraordinaire » et sa légitimité
Est-ce à dire, cependant, que cette « forme juridique ordinaire », comme l’appelle Naz, employée par l’Ordinaire, par le curé du lieu ou par un prêtre ayant reçu délégation, soit absolument l’unique forme juridique possible pour un mariage valide ? Non. Le droit canonique prévoit explicitement une « forme juridique extraordinaire », dans le cas où « il n’est pas possible d’avoir ou d’aller trouver sans grave inconvénient le curé, ou l’Ordinaire, ou le prêtre délégué » (canon 1098 du Code de 1917).
L’impossibilité d’avoir ou d’aller trouver le « témoin canonique » peut être soit physique, soit morale (cf. F. X. Wernz – P. Vidal, Ius Canonicum, Rome 1946, V, numéro 544 ; D. Lazzarato, Iurisprudentia Pontificia, Typis Poliglottis Vaticanis, Rome, 1956, numéro 926, § 5-6). Tout grave inconvénient, spirituel ou temporel, est suffisant (cf. B. H. Merkelbach, Summa Theologiae Moralis, Paris, 1942, III, numéro 849). Ce grave inconvénient peut affecter le prêtre, l’un des futurs ou les deux, un tiers ou le bien commun (cf. M. Conte a Coronata, Compendium Iuris Canonici, Marietti, 1950, III, numéro 1048).
Naz souligne que « cette notion d’impossibilité physique ou morale d’atteindre le prêtre fut comprise d’une façon de plus en plus large (…). La jurisprudence a évolué dans un sens de plus en plus favorable à l’application du canon 1098 » (Traité de droit canonique, III, § 426).
Le mariage en vertu du canon 1098, ou mariage selon la « forme extraordinaire », n’est donc en aucune manière un faux mariage, une apparence de mariage ou un mariage au rabais. Il est au contraire explicitement prévu par le droit canonique, et protégé par lui. Par exemple, dans les pays de mission où le prêtre ne peut passer que de loin en loin, beaucoup de mariages sont célébrés selon la « forme extraordinaire ». Pourvu que les conditions objectives pour utiliser la « forme extraordinaire » soient réunies, un mariage célébré de cette façon est indubitablement valide.
Les mariages dans la Fraternité Saint-Pie X
Entre 1970 et 1975, les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X qui devaient célébrer un mariage ont ordinairement demandé et obtenu du curé du lieu la délégation nécessaire. A partir de 1975 et de la prétendue « suppression » de la Fraternité Saint-Pie X, cette délégation fut habituellement refusée aux prêtres de la Fraternité Saint-Pie X (sauf de la part de quelques prêtres amis) sous le fallacieux prétexte qu’ils n’étaient pas en règle avec l’Église.
Parallèlement, la crise de l’Église portait à l’époque ses fruits de mort et rendait de plus en plus difficile pour les fidèles attachés à la Tradition de pouvoir se marier de façon pleinement catholique. La liturgie proposée était la liturgie protestantisée issue de Vatican II. La formation des fiancées était très souvent entachée de graves erreurs morales concernant le mariage notamment. En particulier, à la suite de Vatican II, les deux fins du mariage, qui de leur nature sont subordonnées, étaient mises en équivalence, voire (selon l’esprit du Code de droit canonique de 1983) purement et simplement inversées.
Le droit naturel au mariage, comme le droit surnaturel de maintenir sa foi catholique, étaient donc très largement bafoués.
Dans ces conditions, la Fraternité Saint-Pie X a estimé de façon fondée qu’existe aujourd’hui dans l’Église un réel et grave « état de nécessité », notamment en ce qui concerne le mariage, « état de nécessité » qui entraîne un empêchement moral d’atteindre le « témoin canonique » puisque celui-ci proposerait une liturgie adultérée et une morale déviante. De ce fait, il devient légitime de recourir à la « forme extraordinaire », selon le canon 1098, et donc de se marier avec la liturgie traditionnelle devant un prêtre attaché à la Tradition, qui ne soit pourtant ni l’Ordinaire du lieu, ni le curé, ni un prêtre délégué par l’un d’entre eux (cf. par exemple Abbé Grégoire Celier, Les mariages dans la Tradition sont-ils valides ? – brochure étrangère aux controverses actuelles, puisque publiée par Clovis en 1999).
Dans ce cas, le prêtre de la Fraternité Saint-Pie X n’est pas, au sens propre, le « témoin canonique », car il ne bénéficie ni d’une juridiction propre (il n’est ni Ordinaire, ni curé du lieu), ni d’une délégation (puisque personne ne l’a délégué). « Le prêtre ne revendique nullement une juridiction qu’il ne possède pas. Mais, selon les termes du canon 1098, il est présent parce que “si un autre prêtre pouvait être présent, il devrait être appelé et assisterait, avec les témoins, au mariage”. Il reçoit les consentements, parce que c’est le rite liturgique mais, ni dans ce cas, ni dans le cas de la forme canonique, le prêtre n’est ministre (ce sont les époux eux-mêmes) : il se contente d’être témoin. Il célèbre la messe, car c’est le désir légitime des conjoints et le souhait de l’Église. Il fait remplir des registres, non en tant que témoin canonique, mais pour garder trace officielle d’un mariage célébré selon le canon 1098. Tous les cas de mariages célébrés “dans la Tradition” (c’est-à-dire sans la forme canonique) l’ont été et le seront aux termes du canon 1098, donc devant témoins, le prêtre étant un témoin naturellement fiable – mais non le “témoin canonique” de la “forme canonique” » (Les mariages dans la Tradition sont-ils valides ?, Clovis, 1999, pp. 25-26).
La « forme extraordinaire » reste… extraordinaire
Il est très clair que l’affirmation d’un « état de nécessité » en ce qui concerne le mariage, qui justifie le recours à la « forme extraordinaire », est et demeure parfaitement valable, dans la mesure où la crise de l’Église est très loin d’être résorbée, et même bien au contraire, notamment au sujet du mariage chrétien, comme viennent de le démontrer les deux synodes sur la famille et l’Exhortation apostolique Amoris lætitia. Un mariage célébré selon la « forme extraordinaire », en raison de l’état de nécessité, est et demeure donc valide en soi.
Cependant, comme son nom l’indique, la « forme extraordinaire » est hors de l’ordinaire, elle ne peut devenir ordinaire, elle ne doit exister que dans le cas où la « forme ordinaire » n’est pas possible. Le canon 1094, qui traite de la « forme ordinaire », est un canon « absolu », qui débute très clairement par « Seuls sont valides… ». Le canon 1098 sur la « forme extraordinaire » est seulement un canon « conditionnel », qui débute par « S’il n’est pas possible… », et qui comprend encore des restrictions telles que « pourvu qu’en toute prudence il faille prévoir… ». La norme absolue et inconditionnelle du mariage est donc la « forme ordinaire », tandis que la « forme extraordinaire » n’est qu’exceptionnelle, relative et occasionnelle.
Cela ne signifie pas que les futurs époux attachés à la Tradition doivent, dans tous les cas, chercher d’abord à obtenir la « forme ordinaire » avec le « témoin canonique », et seulement en désespoir de cause recourir à la « forme extraordinaire ». Car l’état de nécessité est actuellement un fait courant et universel, qui autorise par lui-même, notamment en raison de beaucoup d’expériences antérieures malheureuses, à recourir directement à la « forme extraordinaire ».
En revanche, si une possibilité sérieuse s’ouvre de réaliser dans un certain nombre de cas des mariages entièrement conformes à la Tradition, mais selon la « forme ordinaire », il serait certainement contraire à la prudence, au droit canonique et à l’esprit de l’Église, de ne pas examiner avec soin cette possibilité et de ne pas l’utiliser si elle est acceptable.
C’est dans cette perspective et avec cet esprit qu’il convient d’étudier la Lettre du cardinal Müller en date du 27 mars 2017, pour déterminer si les dispositions qu’elle propose permettraient dans un certain nombre de cas de réaliser des mariages selon la « forme ordinaire » mais parfaitement conformes à la Tradition, ou si, au contraire, ces dispositions constitueraient un piège pour la Tradition.
Les dispositions de la Lettre
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